Johann Rousselot, ancien photographe professionnel et bourlingueur de toujours, est un amoureux du
voyage moto en Royal Enfield. Mordu par ses premiers voyages en Inde, il est depuis quelques années guide moto chez Vintage Rides. Accompagné de sa femme Shweta, il est parti au Sud du Pérou concocter un nouveau tour mais également le film de leur reco !
Est-ce que tu peux décrire rapidement ta reco au Pérou?
Je suis parti au Sud du Pérou avec ma femme, Shweta. La reco s’est faite en 40 jours. Nous avions deux objectifs; dessiner un circuit dans l’esprit de Vintage Rides et filmer notre reconnaissance. Je me suis concentré sur un triangle d’exploration entre Arequipa, Cuzco et le lac Titicaca. Comme d’habitude, tu essayes de trouver un maximum de pistes, de routes alternatives. J’ai tenté des trucs. Parfois ça passe. Parfois ça ne passe pas. Tu évites la “main road” le plus possible sans que ce soit trop technique. C’est la clé pour sortir des sentiers battus. Après je t’avoue que les “main roads” sont en très bon état avec très peu de trafic. Cela fait du bien de temps en temps de prendre des morceaux bien dessinés où tu peux tordre la poignée.
Si tu prends Arequipa, Cuzco et le lac Titicaca sur une carte, cela forme un triangle. Tu démarres le trip à Arequipa, ville coloniale. C’est une superbe mise en ambiance. Une fois atteint Cuzco au Nord, la cité Inca, tu pars explorer le Machu Picchu. Et enfin, après avoir exploré les plateaux andins et le bassin amazonien, tu découvres le lac le plus haut d’Amérique latine.
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Toi qui as beaucoup voyagé en Asie, qu’est-ce qui est particulier avec le Pérou?
La grosse différence avec l’Asie est que tu n’as pas de trafic à l’asiatique, désorganisé, grouillant. Tu te retrouves dans des conditions de roulage plus à l’européenne, beaucoup plus sûres. Les gens respectent le code de la route. Les routes sont beaucoup mieux entretenues. En revanche, ce qui est similaire à l’Asie, c’est l’exotisme. Evidemment, c’est une culture et des paysages complètement différents, mai le dépaysement est autant au rendez-vous. Prends l’exemple des Quechuas. Sur les sites touristiques, tu sens bien qu’ils sont habillés de façon traditionnelle pour le business mais, dès que tu sors de ces lieux, la tradition est une réalité vivante.
Peut-on reconnaître les différences culturelles au Pérou avec les habitudes vestimentaires?
Ce sont les chapeaux. Ce sont les détails. Il faut être un peu connaisseur - voire même capéophilliste* - mais tu vas voir que d’une région à une autre les chapeaux changent ou des détails sur les vêtements, comme les techniques de tissage. Il faut avoir un œil un peu exercé sinon tu ne verras que des motifs. Par contre les chapeaux, c’est très clair. Tu vois les chapeaux qui changent vraiment. Des exemples? Dans le canyon de Colca, les habitants portent des chapeaux avec de nombreuses broderies colorées. Au bord du lac Titicaca, les chapeaux sont faits de feutrine agrémentée de pompons rose fluo. Ce qui est frappant au Pérou, c’est que le chapeau est autant porté par les femmes que par les hommes. C’est un marqueur social et/ou marital pour celle ou celui qui le porte. Chez nous en France, nous avons perdu l’habitude de porter le chapeau. Lorsque tu voyages, tu te rends compte que le couvre-chef, c’est tout à fait normal. D’ailleurs, je m’en suis même acheté un là-bas. Ça donne une allure.
Ça respire l’authenticité en somme?
Exactement. Ne serait-ce que les visages des Péruviens. Tu vois des sacrées “gueules”, très marquées. Les visages que tu peux voir dans le film de la reco sur les statues incas sont une réalité. Tu sens que ce sont des gens de caractère, attachés à leur culture. Tu n’as pas le sentiment que cela ressemble au reste du monde, que c’est complètement globalisé ou que tout repose sur les mêmes valeurs. C’est très identitaire. Au bon sens du terme.
Sur les images du film, j’ai remarqué que l’itinéraire que tu as dessiné a vraiment l’air de sortir des sentiers battus. J’ai eu des retours de gens qui étaient partis au Pérou sur des voyages classiques organisés - pas à moto - et qui ont eu une expérience un peu décevante du tourisme de masse. Tu peux nous en dire plus?
Je ne vais rien t’apprendre mais déjà la moto joue pour beaucoup. Le tourisme que tu décris est celui des bus ou des groupes en 4x4. Les Péruviens l’appellent le Gringo Trail pour te dire… A moto, tu l’évites en journée. L’enjeu de la reco était justement de façonner un trip où personne ne passe. Ce serait absurde pour les mini-bus de passer par là où l’on passe. Ils veulent aller au plus vite vers le prochain site touristique tandis que nous recherchons le plaisir de rouler. Ce qu’il ne faut pas que tu oublies également, est que le Pérou est relativement peu peuplé: 32 millions d’habitants sur un pays qui fait deux fois la taille de la France avec 80 % de la population qui est urbaine. Dès que tu sors de la route principale, tu es donc très vite projeté dans le grand “wild”.
Et au niveau des paysages?
Sur les hauts plateaux, c’est la pampa. Les Péruviens ne peuvent pas la cultiver intensivement. Pendant la saison sèche, c’est assez aride. Les paysages présentent un beau jaune. En revanche, cela verdit lors de la saison des pluies, vers décembre. C’est une agriculture vivrière ancestrale avec des petits lopins. Ce n’est pas ici de l’agriculture exportatrice qui façonne le paysage. Ce sont des contrées sauvages. Les plateaux sont souvent arides, sans arbres avec de la rocaille et des troupeaux de lamas ou leurs cousins sauvages - les vigognes - en pâturage. Tu te retrouves donc souvent seul au monde. Lorsque tu descends plus bas en altitude, tu vas découvrir une végétation beaucoup plus luxuriante, voire même de la jungle. Ce qui m’a le plus frappé lorsque nous sommes descendus sur le bassin amazonien, c’est la chaleur et le bruit des insectes! Tu réalises que la pampa est silencieuse.
Quelle est l’expérience qui t’a le plus frappé sur ce voyage?
Ce que j’ai adoré lors de ce voyage, c’est faire le Machu Picchu. Honnêtement, je m’attendais à un cauchemar touristique. Je suis donc parti tôt le matin par un itinéraire qu’on pourrait appeler l’entrée des artistes. Il y a un peu de touristes mais plus relax. L’approche est superbe. Je suis très content. Ce n’est pas juste un truc de plus que j’ai coché. J’ai vraiment pu apprécier l’atmosphère. En revanche, le piège touristique dans lequel je suis tombé lors de la reco sont les îles Uros sur le lac Titicaca. Je ne l’ai évidemment pas mis dans le trip. C’est une arnaque totale!
Qu’est-ce que tu as proposé à l’équipe alors au lac Titicaca?
J’ai préféré me concentrer sur des petites pistes avec de belles vues sur le lac, en passant évidemment par de très belles ruines. Cela donne un vrai côté romantique.
Tu recommandes d’avoir quel niveau?
Je conseille une expérience moyenne. Tu n’es clairement pas obligé d’avoir une grosse expérience off-road. Disons que c’est plus une question d’endurance car il faut pouvoir être 8 heures sur la moto certains jours. Les motards aguerris peuvent venir en duo.
Et la Bullet? En quoi c’est la bonne moto pour ce genre de trip?
C’est la bonne moto tout simplement parce qu’on a dessiné un itinéraire pour elle. On sait que ça va fonctionner. La Bullet est une moto pour voyager, pas uniquement pour faire la balade du dimanche. Elle est faite pour ça. La seule chose à éviter sont les longues lignes droites monotones. Dès que tu es là-haut, tu alternes avec de la route principale sinueuse et de la petite piste. C’est exactement le mix qu’il lui faut.
Tu as une anecdote marrante?
Il y a eu de nombreux moments de rencontres en mode aventure car nous étions en reco. Nous n’étions jamais certains de l’endroit où nous allions dormir le soir par exemple. Dans le film, tu peux voir Lorienza et Appolinar qui nous ont hébergés en pleine nuit. Mais en réalitécela
nous est arrivé plusieurs fois. Ce n’est pas calculé ce truc-là. On s’est vraiment retrouvé en rade en pleine nuit dans le brouillard. C’est une vraie rencontre. En fait lorsque tu voyages, tu espères toujours des moments comme cela, où tu rencontres vraiment la population locale et sans l’avoir calculé.
Une anecdote de galère maintenant?
Une anecdote de galère de reco? Justement, celle qui nous a permis de dormir chez Lorienza et Appolinar. Une Bullet avec un réservoir de 14 litres, tu sais qu’avec la réserve tu fais tes 350 bornes. Nous sommes chargés, à deux, donc tu te dis 300 bornes. La réserve, c’est un litre. Tu fais 20 bornes avec… A 230 km, je suis obligé de déclencher la réserve! Je me dis que ce n’est pas possible. On est en train de monter le col. 250 km. Rade total! Shweta est encore persuadée que je me suis trompé dans mes calculs! Je suis certain qu’il y a un problème avec cette bécane. Nous sommes donc bloqués à 5 km du col. On n’a pas vu de station-essence depuis 100 km. Ce n’est que de la piste. Chargés comme nous sommes, nous voilà bloqués. Tu attends les véhicules. Un véhicule, deux véhicules. Il n’ont que du diesel! On voit soudainement un berger qui court. Il descend avec nous vers sa grange. Il avait 2-3 litres. Il nous sauve! On passe le col et on redescend en coupant le contact. Tomber en rade après 250 bornes avec une Bullet, je n’avais jamais vu ça! Même en altitude et chargé. Evidemment, nous avions 2 bouteilles d’un litre que nous avions laissées vides car c’était le début du trip… Je les ai remplies par la suite pour ne pas m’en servir! C’est toujours comme ça!
Ce qui veut dire que ce n’est pas comme en Inde par exemple où tu pourras toujours trouver de l’essence de seconde main?
Oui, au Pérou, si tu calcules mal - ce qui n’est pas mon cas! -, ça peut être chaud. Tu as beaucoup moins de monde au mètre carré.
Est-ce que tu as une ambiance ou un paysage qui t’a marqué?
Il y en a eu plein! Quand tu remontes depuis la Vallée Sacrée des Incas en allant vers Cuzco, tu passes par un plateau. Nous sommes en fin de journée. Nous avons monté une piste avec des lacets infinis pour enfin découvrir la vue sur la chaîne de l’Urubamba. C’est la grande chaîne qui borde la Vallée Sacrée des Incas. La vue est tout simplement splendide. Et là tu te dis m…, c’est trop beau! Il est tard. Quand tu es là-haut, il commence à faire 8-10°C. Il fait froid. Rappelle- toi qu’en plus de la reco, nous devons faire un film. Il faut donc faire des images et profiter de ces instants précieux au maximum avant de repartir. Les gorges de Suykutambo aussi, c’est un délire géologique! Le retour du Macchu Pichu, c’est également une journée formidable. Tu as une première montée dans la jungle des collines. Tu progresses dans la même journée vers ce paysage d’Altiplano. Ça devient de plus en plus aride. C’est une piste incroyable. Le lendemain, on a découvert un col qui n’a pas de nom. Pas d’habitants. Pas de panneau. Rien sur Google Maps. C’est splendide! Ça vaut le Ladakh!
Tu as hésité à baptiser le col à vos noms, “Shweta & Johann pass”?
(Rires) Je préfère qu’il reste intact! Tu es vraiment en terre Quechua. J’ai remodelé l’itinéraire pour inclure cette étape d’ailleurs. Et pour terminer, quelle est la culture moto dans le Sud du Pérou? Sur l’Altiplano? Inexistante. C’est seulement de la petite bécane pour aller au champ ou dans la ville d’à côté. Ce n’est pas un pays de moto, ce qui est formidable avec la Bullet. Dis-toi qu’ils n’en ont jamais vu au Pérou. Il y en a 40 dans tout le pays… C’est l’effet flash lorsqu’ils la voient du coup. Ils sont très curieux et la trouvent belle. Que Bonita! comme disent les Péruviens.